samedi 21 janvier 2012

Le canular de l’Évangile de la paix et la question des apocryphes modernes

Il fallait s'y attendre tant son contenu était inhabituel.

Image : Edmond Szekély accompagné d'étudiants

Cependant Edmond Szekély nous le présentait quand-même comme dépendant de deux manuscrits authentiques, l'un en araméen, l'autre en slavon.

Le premier se serait trouvé dans la bibliothèque vaticane tandis que le second aurait été conservé dans la bibliothèque royale des Habsbourg sous le numéro 156-P.

Avec de telles références on aurait pu s'attendre à quelque chose de concret.

Pourtant non, il s'agit bien d'un faux qui continue hélas d'être réédité.

C'est M. Jean-Daniel Kaestli, grand spécialiste de la littérature apocryphe chrétienne, qui m'en a donné la confirmation (voir ses références à la fin de l'article).

« Il suffit de lire quelques lignes du texte pour se convaincre qu'il ne remonte pas à un quelconque manuscrit ancien, araméen ou slavon » m'a confié le professeur Kaestli.

Edmond Szekély (1905-1979) fut un diététicien et philosophe fils d'un père hongrois de confession unitarienne et d'une mère française catholique.

On trouvera une biographie détaillée ici : http://www.communityofpeace.net/Britxt/B03profes.htm

Par son « Évangile de la paix », probablement forgé dans les années 1930, il prétendait nous offrir des paroles inédites de Jésus-Christ que Jean, son disciple préféré, aurait consigné dans leur langue respective, l'araméen.

L'ouvrage est présenté comme dépendant du courant essénien mais il a surtout - est-ce accidentel ? - une saveur de gnosticisme, surtout à cause de sa référence à une « Mére, la Terre » (avec une majuscule) qui partout accompagne le Père Céleste.

En le parcourant on notera une citation in-extenso des paroles de l'apôtre Paul tirées de la première aux Corinthiens au chapitre 13 ce qui n'est pas sans ajouter à son caractère déja étrange.

Cela n'a pas été sans me rappeler les retranscriptions à la lettre tirées de la King James version que Joseph Smith fit dans son Livre de Mormon.

Il m'a semblé utile de souligner le caractère frauduleux de cette publication afin que le lecteur ne soit pas abusé.

On le trouve un peu partout sur le net, notamment ici :

http://livres-mystiques.com/partieTEXTES/Apocryphes/Delapaix/Paixindex.htm

Ou encore ici :

http://nous-les-dieux.org/L'%C3%A9vangile_de_la_Paix_de_J%C3%A9sus-Christ_par_le_disciple_Jean

Le cas d'un apocryphe moderne comme celui-ci n'est pas unique.

Je l'ai d'ailleurs déjà cité plus haut, le Livre de Mormon et quelques-uns des autres volumes sacrés du mormonisme comme le Livre d'Abraham et le Livre de Moïse, tous paru dans la première moitié du 19ème siècle, sont eux-aussi des apocryphes modernes.

La fausseté du Livre d'Abraham a depuis longtemps été établie.

Après avoir scrupuleusement examiné l'original du papyrus retrouvé en 1967, une équipe d'égyptologues ont découvert qu'il s'agissait en réalité d'un exemplaire du Livre égyptien des mort et que Joseph Smith avait utilisé 136 mots anglais différents pour traduire le hiéroglyphe correspondant au mot « lac ».

Voir tous ces livres : http://scriptures.lds.org/fr/

Un manuscrit italien datant du 16ème siècle et sa traduction espagnole du 18ème nous offrent quand à eux un texte musulman appelé Évangile de Barnabas dont on en sait pas grand-chose quand à son origine réelle.*

On pourrait légitimement rester songeur face à l'emploi de l'expression « apocryphes modernes ».

Un ami me confiait « Pourquoi dire « apocryphes » modernes alors que ce sont des pseudo-apocryphes ? Après les premiers siècles du christianisme peut-on parler encore d'apocryphe ? ».

Il y a deux définitions du mot apocryphe.

La première, le sens primitif du mot apokryphos, qui signifie "caché" ou "secret", sous entendu des livres qu'on ne lit pas en public ou qu'on ne donne en lecture qu'à des personnes qualifiées, suffisamment matures dans la foi.

La seconde, plus tardive, c'est celle qu'ont produit les commentaires de (St) Jérôme, des "faux", c'est à dire des livres faussement attribués à un rédacteur et, par conséquent, faussement inspirés.

Par soucis d’exactitude la critique moderne a également proposée le mot "pseudépigraphe" considéré par certains comme étant mieux adapté.

Dans leur partie chrétienne ces livres ont de toute façon tous été écrits à partir de la seconde moitié du 2ème siècle.

Tous sont des faux, puisqu'ils rapportent des témoignages jusqu'à 3 ou 4 siècles après les faits, alors que leur texte sous-entend une rédaction quasi immédiate ou un rapport fiable.

Quelle différence y a-t-il au fond entre
La lettre de Jésus-Christ sur le dimanche, forgée au 4ème ou 5ème siècle, et l'évangile de la paix de Jésus-Christ d'Edmond Székely écrite au 20ème ?

Ces ouvrages ont été rédigés dans un but bien précis, pour répondre à des questions et pour soutenir des doctrines.

Dans les deux exemples cités le premier sert à justifier l'observance du dimanche comme jour sacré et réservé au culte, le second à prouver que le but premier du ministre de Jésus était la guérison des maladies.

Un apocryphe est un apocryphe, quel que soit l'époque de sa rédaction.

Évidemment dans le cas de
l'évangile de la paix de Jésus-Christ d'Edmond Székely il faut lui adjoindre le qualificatif de "moderne" afin de différencier la vague d'apocryphes des cinq premiers siècle du christianisme de celle plus récente, qui n'est finalement qu'une résurgence de la première sous l'influence directe de la lecture de ses ouvrages.

Important également l'aspect romanesque.

Il faut je crois différencier les buts.

La plupart du temps le but d'un apocryphe est de défendre une doctrine.

Mais il ne faudrait pas négliger le côté romantique et artistique des premiers chrétiens.

Beaucoup ont voulu, on le remarque surtout dans les Actes apocryphes, offrir de l'aventure, de l’exotisme.

Ils étaient inspiré par leur imaginaire ou poussé par leurs sentiments.

Le rédacteur des Actes de Paul par exemple avait fini par être démasqué, selon ce que rapporte Tertullien dans son traité sur le baptême.

Il s'agissait d'un presbytre d'Asie qui avait imaginé le récit par amour pour Paul.

Ainsi, si certains apocryphes peuvent être perçu comme une calamité sur les plans doctrinaux ou historiques, d'autres devraient avant tout être regardé comme des récits de fiction volontaire.

Bibliographie fournie par le professeur Jean-Daniel Kaestli :

Piovanelli Pierluigi, «Qu'est-ce qu'un "écrit apocryphe chrétien", et comment ça marche? Quelques suggestions pour une herméneutique apocryphe», dans : Pierre Geoltrain ou comment "faire l'histoire" des religions? Le chantier des "origines", les méthodes du doute et la conversation contemporaine entre les disciplines (BEHE.R 128) (HPSSR 2), Mimouni, Simon C. - Ullern-Weité, Isabelle (éds), Turnhout, Brepols, 2006, p. 173-186.

Edgar J. Goodspeed, Strange New Gopsels, Chicago, Chicago University Press, 1931 (réimpression: Freeport, Books for Libraries Press, 1971).

Per Beskow, Strange Tales about Jesus. A Survey of Unfamiliar Gospels, Philadelphia, Fortress Press, 1983 (édition originale suédoise, 1979).

Références du professeur Jean-Daniel Kaestli :

http://www.unil.ch/irsb/page27736.html

http://www.recherche-plurielle.net/cccsundgau/archives-ccc/interview-jean-daniel-kaestli.htm

http://www2.unil.ch/aelac/

*voir mon article du 6 novembre 2010 : http://alephetomega.blogspot.com/2010/11/levangile-musulman-de-barnabas.html