dimanche 17 juin 2012

Espèce de présence !


Trans-sub-stan-tia-tion...

Ça vous paraît compliqué à prononcer ?

Que cela ne vous alarme pas, c'est du langage de sophiste, du langage théologique quoi.

Il y en a aussi un autre de la même veine : con-sub-stan-tia-tion.

Et qu'est-ce que cela signifie me direz vous ?

Oh... pour cela il va falloir remonter assez loin dans le temps, un temps où ces mots n'existaient pas et où la chose à laquelle ils correspondent revêtait une toute autre forme.

Nous sommes dans les années 50 et 60 du premier siècle de notre ère, le jeune christianisme est en plein essor.

L'apôtre Paul use dans ses lettres d'un mot grec, « eukharistia », pour parler d' « actions de grâce » ou, selon l'usage dans la langue anglaise, de « thanksgiving », c'est à dire dans les deux cas d'actes de remerciement pour les dons que Dieu nous accorde.

Ils se caractérisent dans la vie du chrétien par des actions précises tant dans le quotidien profane que cultuel mais aussi par des prières et des louanges.

D'ailleurs le mot «  eukharistia » est souvent rendu par « remerciement » dans les versions de la Bible.

Voilà pour la petite histoire, mais les coutumes et le sens des mots changent avec le temps...

Ainsi les « actions de grâces » vont devenir l’ « action de grâce , francisé en « eucharistie ».

L'« eucharistie » va se concentrer sur une chose qui portait jusque-là un tout autre nom.

Lors de la Pâque juive précédent sa mort quelques heures plus tard, Jésus institua une cérémonie de souvenir (lire Matthieu 26:26-30 et Luc 22:14-20).

Cette cérémonie sera couramment appelée par ses premiers disciples « repas du Seigneur » (lire par exemple 1 Corinthiens 11:20).

Cette pratique fait bien partie des différents aspects des « actions de grâces ».

De nos jours elle est appelée selon les habitudes propres aux différentes églises « Sainte Cène », « repas ou souper du Seigneur », « mémorial », « sacrifice de la messe » ou, et là nous entrons dans le vif du sujet, « eucharistie ».

L'église catholique a choisie de lier de façon absolue le mot « eucharistie » à la pratique du repas du Seigneur.

Pour elle il s'agit non seulement d'une cérémonie de souvenir mais également de la répétition de son sacrifice, le sacrifice réel étant appelé « sanglant » et celui de la messe « non sanglant », et d'une communion mystique au cours de laquelle le fidèle s'associe au Christ de façon métaphysique.


Revenons en à présent à notre thème de départ.

Pour le catholique que se passe-t-il lorsque, après avoir été consacrés (bénis), le prêtre boit le vin et que le fidèle absorbe l'hostie (petite pièce de pain sans levain) ?

Il y a transsubstantiation.

En voici les détails techniques : Selon la croyance catholique la substance du pain et du vin, ou plutôt dirons-nous pour simplifier, le pain et le vin tels qu'ils existent par eux-mêmes, se transforment en la vraie chair et le vrai sang du Christ, bien qu'en apparence ils demeurent de simples aliments.

Cette transformation commence dès la consécration et demeure temps que le pain et le vin subsistent en tant que tels.

On parle alors de « présence réelle », ça fait un peu cannibale mais c'est ainsi.

C'est probablement la digestion qui a raison du corps du Christ, à moins qu'il ne faille attendre que les intestins aient fait leur travail et aient totalement absorbé ce qu'il y avait de divin dans les aliments...

Il s'agit d'une interprétation littérale des mots de Jésus « ceci est mon corps (…), ceci est mon sang » et encore « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage » (Jean 6:53-55 - Crampon).

Dans l'église catholique point de métaphore, il n'y place que pour la métaphysique et les mystères !


On parle également de communion "sous une seule espèce" ou "sous les deux espèces", la première étant pratiquée par l'église romaine, l'autre par les églises orientales et celles de traditions luthériennes et hussites.


L'église catholique a adoptée, pour ne pas dire inventée, le système de la communion "sous une seule espèce" pour éviter le risque d’effusion du vin.


Son choix de remplacer le vin rouge par du blanc y est directement lié.

Selon des sources le mot transsubstantiation est apparu au 11ème siècle sous la plume d'Hildebert de Tours et sera repris en 1215 lors du 4ème concile du Latran lorsque le dogme sera officialisé.

On est bien loin du simple « eukharistia » de l'apôtre Paul...

Puis arrive le 16ème siècle et la Réforme, bref bien des déboires pour l'église catholique.

Déjà un peu avant d'autres gens très bien s'étaient inquiété de savoir comment les choses se passaient à l'intérieur des aliments, tels les moines franciscains Guillaume d'Ockham et John Duns Scot.

Ils furent les défenseurs d'une doctrine en opposition avec la transsubstantiation, la fameuse consubstantiation, bien que cette dernière ne soit pas si différente de la première, pour preuve il ne furent pas condamnés comme hérétiques.

La consubstantiation restera lettre morte dans l'église catholique mais elle ne sera pas perdue pour tout le monde puisqu'en 1520 l'ex moine augustin Martin Luther la récupérera et en fera la doctrine eucharistique officielle de son église.

Parce que le petit père Luther ne savait que faire de la messe il fit ce que l'on fait avec un vieux meuble dont on s'est lassé mais que l'on aime trop pour le jeter, on lui donne un bon coup de peinture et le tour est joué.

Mais la consubstantiation c'est quoi ?

Et bien c'est en gros la même chose que la transsubstantiation à ce détail près que pour ses défenseurs les aliments ne sont pas transformés mais conservent leur substances propres, c'est à dire qu'ils demeurent réellement du pain et du vin auxquels s'associent la chair et le sang du Christ.

Il n'y a donc pas transformation mais association (en latin consubstantiation est formé de « con » signifiant « avec » et de « substentia », n'y voyez rien d'inconvenant, la substance en question n'est jamais stupide).

Que le fidèle catholique ne s'en inquiète pas, la communion mystique aura bien lieu également dans le ventre du luthérien !

Pour l'anglican c'est un peu plus compliqué car son église ne l'oblige à croire ni plus en l'une qu'en l'autre des deux doctrines.

Mais qu'en pensaient les deux autres pères du protestantisme Jean Calvin et Ulrich Zwingli ?

Calvin ne crache pas sur la présence du Christ durant la Cène mais il ne retient pas la communion mystique selon les termes de la présence réelle.

Il s'agit pour le réformateur de Genève d'une présence spirituelle qui nourrit l'âme du fidèle tandis qu'il absorbe les aliments.

Quand à Zwingli il rejette en bloc tout rapport de communion et ne retient que la cérémonie du souvenir selon cette parole de Jésus : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites ceci en mémoire de moi toutes les fois que vous en boirez. Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne » (Luc 22:19 et 1 Corinthiens 11:25, 26 - Segond).

Zwingli s'accorde avec Calvin quand à la présence spirituelle du Christ durant la Cène mais limite cette présence à la sphère de l'assemblée des fidèles, il ne s'agit pas d'une présence distribuée individuellement, selon ces autres paroles de Jésus : «  Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Matthieu 18:20 - Segond).

Pour ces deux acteurs de la Réforme faire de ces simples aliments une présence physique de Dieu serait blasphématoire et s'agenouiller devant reviendrait à pratiquer une forme d’idolâtrie.

La question de la « présence » du Christ dans les aliments ne serait-elle pas plus simple à résoudre en tenant compte du langage avec lequel Jésus s'adresse en général ?

Partout dans les quatre récits évangéliques il s'adresse en termes figurés et l'église catholique autant que la luthérienne retiennent un grand nombre de ses paroles comme telles.

Alors pourquoi s'embarrasser de dogmes aussi complexes qu'inexplicables que sont la transsubstantiation et la consubstantiation ?

D'autant qu'il convient certainement de tenir compte d'un autre aspect de la doctrine chrétienne.

L'apôtre Paul traita de la question de savoir comment les créatures terrestres, donc physiques, que sont les humains pouvaient exister après leur mort dans le ciel auprès de Dieu.

On lit ce qui suit : « Ce que j’affirme, frères, c’est que ni la chair ni le sang ne peuvent hériter le royaume de Dieu, et que la corruption n’héritera pas l’incorruptibilité. » (1 Corinthiens 15:50 - Crampon).

C'est donc un premier point, que chair et sang ne peuvent exister hors de la sphère terrestre et de là il n'y a aucune raison logique de penser que ceux-ci soient recréé à chaque sacrifice de la messe ou que le véritable corps de Jésus soit demeuré intacte après sa mort et ait subsisté dans les cieux.

D'ailleurs, pour aborder la question du sacrifice perpétuel (non sanglant) durant la messe, notons ce texte qui le terrasse : « Et ce n’est pas pour s’offrir lui-même plusieurs fois, comme le grand prêtre entre chaque année dans le sanctuaire avec un sang qui n’est pas le sien : autrement il aurait dû souffrir plusieurs fois depuis la fondation du monde; mais il s’est montré une seule fois, dans les derniers âges, pour abolir le péché par son sacrifice. Et comme il est arrêté que les hommes meurent une seule fois, après quoi vient le jugement, ainsi le Christ, après s’être offert une seule fois pour ôter les péchés de la multitude, apparaîtra une seconde fois, sans péché, pour donner le salut à ceux qui l’attendent ». (Hébreux 9:25-28 - Crampon)

Mais il y a plus...

Selon les évangiles, tout laisse à penser qu'après sa résurrection Jésus n'avait plus son corps d'origine.

Tout d'abord Marie Madeleine ne le reconnaît pas : « Ayant dit ces mots, elle se retourna et vit Jésus debout; et elle ne savait pas que c’était Jésus. Jésus lui dit: "Femme, pourquoi pleurez-vous? Qui cherchez-vous?" Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit: "Seigneur, si c’est vous qui l’avez emporté, dites-moi où vous l’avez mis, et j’irai le prendre". » (Jean 20:14, 15 - Crampon).

Puis on lit que ses propres disciples non plus : «  Tandis qu’ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s’étant approché, se mit à faire route avec eux; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître ». (Luc 24:15, 16 - Crampon), « Le matin venu, Jésus se trouva sur le rivage; mais les disciples ne savaient pas que c’était Jésus » (Jean 21:4 - Crampon).

Enfin il se montre tel un spectre, comme si lors de ses apparitions son corps n'était en fait qu'une matérialisation temporaire : « Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent; et il disparut de leur vue » (Luc 24:30, 31 - Crampon), « Le soir de ce même jour, le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étant fermées, parce qu’ils craignaient les Juifs, Jésus vint, et se présentant au milieu d’eux, il leur dit: "Paix avec vous ! » (Jean 20:19 - Crampon).

Je vous laisse juge de tout ceci.

Pour ma part je rejoins volontiers le point de vue de Zwingli qui colle à mon sens le plus au modèle biblique sur la bonne façon de célébrer le repas du Seigneur.