samedi 11 septembre 2010

Le canon biblique, ses variations et la question des apocryphes

Image : (Saint) Jérôme par Caravaggio. Le théologien était très attaché aux originaux hébreux et au canon du judaïsme. C'est pourquoi il n'a pas inclut dans sa traduction latine les apocryphes transmis par la version grecque des Septante. Ce n'est qu'après sa mort qu'ils furent traduits et ajoutés à la Vulgate.

L'ouvrage que l'on appel communément la Bible est en réalité une bibliothèque de plusieurs livres.

Le mot « Bible » vient du grec « biblia » qui signifie « les livres », biblia dérivant lui même du mot « biblos », l'écorce du papyrus, et du nom de la ville phénicienne de Guébal (actuel Liban) que les Grecs appelaient Byblos parce qu'on y fabriquait des papyrus de grande qualité (cf. Ézéchiel 27:9 dans la LXX où les Guébalites sont appelés Bibliens).


Elle raconte l'histoire du peuple Hébreu, qui deviendra plus tard la nation d'Israël, ainsi que les premières années de l'histoire du christianisme.


On appel « canon biblique » l'ensemble des livres qui sont considérés comme étant d'inspiration divine. Le mot « canon » provient de l'hébreu « qanèh » qui signifie littéralement un « roseau » dont on se servait comme règle ou comme outil de mesure et du grec « kanôn » qui sert à définir tout objet servant à régler et à mesurer.


Les premiers livres ont été écrits en hébreu et en araméen. Ils composent le canon de la Bible juive et sont au nombre de 39 selon le classement moderne commun. La tradition juive les classait autrefois en 22 livres et aujourd'hui en 24. Cela ne change en rien le contenu du canon. Les Juifs la nomment TaNak (Torah, Nevi'im, Ketouvim) c'est à dire la Loi, les Prophètes et les Écrits (cf. Luc 24:44 où Jésus utilise l'expression « dans la loi de Moïse et dans les Prophètes et les Psaumes »). Pour les chrétiens également ces livres font autorité en matière de foi. Le christianisme les groupe en une partie qu'il nomme « Ancien Testament » ou « Ancienne Alliance ». Pour l'islam ils forment également la première révélation de Dieu écrite, bien que d'une certaine façon l'islam soumette son contenu à caution. Ils couvrent une période allant de l'origine du monde aux environs de – 450. Le commencement de sa rédaction remonte, selon la tradition et la chronologie biblique, aux environ du 16ème siècle avant l'ère chrétienne.


La seconde partie de la Bible est composé de livres chrétiens rédigés en grec. Ils ne sont pas reconnus par le judaïsme. L'islam quand à lui en reconnaît l'inspiration divine dans certaines de ses parties notamment les récits évangélistes. Le christianisme appel communément la seconde partie de la Bible « Nouveau Testament » ou « Nouvelle Alliance ». Ils sont au nombre de 27. Ces livres relatent la prédication de Jésus de Nazareth appelé Christ (présenté comme étant le Messie promis dont parlent les prophéties de l'Ancien Testament), les actes de ses premiers disciples, de nombreuses correspondances entre les apôtres et les premières églises ainsi qu'une révélation sur l'avenir de l'Église et la fin des temps. Ils couvrent toute la période du 1er siècle.


L'église Catholique Romaine reconnait, en plus des 39 livres hébreux et araméens, 8 livres d'origine juive mais qui nous ont été transmis uniquement en grec par la version dite des « Septante » (souvent appelée LXX à l'écrit). Le judaïsme et les églises chrétiennes protestantes les ont exclus de leur canon. Ils les nomment « apocryphes » (cachés), « deutérocanoniques » (du 2ème canon) ou « pseudépigraphes » (faux-écrits). En plus de ces 8 livres le canon catholique inclut certains ajouts aux livres universellement reconnus d'Esther et de Daniel. Les églises orthodoxes ajoutent encore 5 autres livres présent dans la Septante mais que le catholicisme n'a pas retenu. L'église orthodoxe éthiopienne quand à elle y ajoute 3 livres de la littérature juive tardive.


Les 39 livres du canon juif selon le classement commun des églises chrétiennes : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome, Josué, Juges, Ruth, 1 Samuel, 2 Samuel, 1 Rois, 2 Rois, 1 Chroniques, 2 Chroniques, Esdras, Néhémie, Esther, Job, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des cantiques (ou Chant de Salomon), Isaïe, Jérémie, Lamentations, Ézéchiel, Daniel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahoum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.


Les 66 livres du canon protestant : Canon juif (Ancien Testament) + le Nouveau Testament : Matthieu, Marc, Luc, Jean, Actes, Romains, 1 Corinthiens, 2 Corinthiens, Galates, Éphésiens, Philippiens, Colossiens, 1 Thessaloniciens, 2 Thessaloniciens, 1 Timothée, 2 Timothée, Tite, Philémon, Hébreux, Jacques, 1 Pierre, 2 Pierre, 1 Jean, 2 Jean, 3 Jean, Jude, Révélation de Jean (Apocalypse)


Les 74 livres du canon catholique : Ancien Testament + Nouveau Testament + 8 livres ajoutés à l'Ancien Testament : Judith, Tobie, 1er et 2e livres des Maccabées, Sagesse de Salomon, Sagesse de Jésus ben Sirach (Siracide ou Ecclésiastique), Baruch, Lettre de Jérémie (parfois associée à Baruch).


Les 79 livres du canon orthodoxe : Ancien Testament + Nouveau Testament + les 8 livres ajoutés au canon catholique + 5 livres ajoutés à l'Ancien Testament : le Premier livre d'Esdras (le livre d'Esdras du canon juif est appelé 2e dans la LXX), les 3e et 4e livres des Maccabées, les Psaumes de Salomon, La Prière de Manassé.


Les 83 livres du canon orthodoxe éthiopien : Ancien Testament + Nouveau Testament + les 8 livres ajoutés au canon catholique + les 5 livres ajoutés au canon orthodoxe + 3 livres de la littérature juive tardive ne dépendant pas de la LXX : l'Ascension d’Isaïe, le livre des Jubilés et le livre d'Hénoch.


L'église mormone née aux états-unis en 1830 reconnaît en plus des 66 livres du canon protestant d'autres ouvrages qui lui sont propres. Voir ici : http://scriptures.lds.org/fr/


Certains des livres apocryphes de la LXX sont très précieux sur le plan historique. Le premier livre des Maccabées par exemple relate l'histoire d'Israël sous la domination grecque d'Antiochus Epiphane et nous amène jusqu'aux environs de – 134. Les autres livres sont très inexactes sur le plan historique, surtout celui de Judith, mais nous donne des informations sur les usages des Juifs au 2ème siècle avant J-C.


Outre ceux que nous avons cités, il existe une multitude de livres apocryphes juifs, chrétiens et gnostiques (le gnosticisme est une mouvance chrétienne mystique et syncrétiste) qui circulèrent et servirent parfois de références aux premiers auteurs juifs et chrétiens avant d'être définitivement écartés par les églises. Certains apocryphes servent de bases à des traditions et des légendes au sein du judaïsme ainsi qu'au sein des églises catholiques et orthodoxes. Par exemple le livre de la Sagesse de Jésus ben Sirach est cité plusieurs fois dans le Talmud (compilation de commentaires rabbiniques sur la Loi). Le Protévangile de Jacques (daté du milieu du 2ème siècle) quand à lui sert de base à la croyance selon laquelle Jésus serait né dans une grotte (celle de la nativité à Bethléem) alors que les récits canoniques se contentent d'indiquer qu'il s'agissait d'une étable. Les évangiles gnostiques de Philippe et de Judas accréditent l'idée que Jésus ait eu une femme et que s'il fut trahis c'était selon sa volonté ce qui disculpe totalement l'Iscariote contre le témoignage des évangiles scripturaires. D'un point de vue général ces livres sont utiles pour la recherche historique et religieuse mais n'ont de valeur théologique pour aucune des églises.


Formation du canon juif


Selon la tradition juive il semble que ce soit le prophète Esdras vers – 460 qui compila les livres sacrés du judaïsme tel que nous les connaissons aujourd'hui au retour de l'exil babylonien (– 539), sauf bien sûr les livres de Néhémie et de Malachie qui furent écrit après Esdras.

Flavius Josèphe (v.37 – v.100), écrivain et historien juif de citoyenneté romaine, ne retient que les 39 livres du canon actuel comme inspirés en indiquant concernant les autres livres (apocryphes) : « Depuis Artaxerxès jusqu’à nos jours tous les événements ont été racontés, mais on n’accorde pas à ces écrits la même créance qu’aux précédents, parce que les prophètes ne se sont plus exactement succédé » (Contre Apion I, 38 et 41).


Le concile juif de Jamnia vers 90 confirma définitivement le rejet des apocryphes de la LXX du canon.


Formation du canon catholique et néo-testamentaire

Lorsqu'il traduisit la Bible en latin à la fin du 3ème siècle et au début du 4ème à partir des originaux hébreux et grecs, (Saint) Jérôme n'inclut pas les apocryphes dans sa version appelée la Vulgate. Voici ce qu'il déclara : « De cette façon, il y a vingt-deux livres (selon la manière dont on classait les 39 à l'époque - ndlr). Ce prologue des livres peut, comme un commencement armé de casque, convenir à tous les livres que nous traduisons de l’hébreu en latin et nous faire savoir que tout ce qui est en dehors de là doit être placé parmi les apocryphes ».


A la même époque l'évêque d'Hippone (Saint) Augustin, était d'un avis

différent et considérait que la LXX était totalement inspirée par Dieu. Pour lui les apocryphes n'en étaient pas. Ainsi ces livres furent traduits après la mort de Jérôme et inclut dans la Vulgate latine.

Image : (Saint) Augustin d'Hippone par Botticelli. L'évêque considéré comme le plus grand docteur de l'église par les romains et les orthodoxes considérait les apocryphes présents dans la Septante grecque comme inspirés.

Le canon de Muratori


On appel canon de Muratori une liste découverte en 1740 à la bibliothèque ambrosie

nne de Milan par Louis-Antoine Muratori, historien italien, liste qui dresse les livres du Nouveau Testament acceptés dans les églises. Elle

est la traduction latine d'un original grec du 2ème siècle. Sa particularité est de donner la quasi totalité au second siècle des livres qui seront retenus lors du concile de Carthage en 397.

L'auteur cite deux livres douteux acceptés par certains et rejetés par d'autres : l'apocalypse de Pierre et la lettre de Paul aux Laodicéens qui ne seront finalement pas retenus dans le canon néo-testamentaire.


Le concile de Carthage de 397


C'est au cours de celui-ci que fut fixé officiellement et pour la première fois le canon des livres chrétiens composant le Nouveau Testament. Le concile approuva également la lecture de l'ensemble des livres du canon juif ainsi que les apocryphes transmis en grec par la LXX.


Le concile de Trente de 1546


Ce concile confirma ce qui avait été accepté à Carthage en 397 mais décida d'exclure des livres apocryphes de la LXX, l'un attribué à Esdras et La Prière de Manassé. L'église catholique amputa donc la Vulgate de ces 2 livres après 11 siècles de présence.


Le choix des églises orthodoxes et protestantes


Du côté orthodoxe les livres apocryphes de la LXX n'ont jamais été remis en question et font partie du canon suivant l'avis de (Saint) Augustin d'Hippone. Dans le cas de l'église d'Éthiopie elle retient le livre d'Hénoch auquel l'un des versets du livre canonique de Jude semble faire écho (cf. Jude 14, 15 et Hénoch 1:9). La présence des deux autres livres semble venir du fait que des auteurs chrétiens s'y réfèrent. L'Ascension d'Isaïe est d'ailleurs, selon la critique, d'origine chrétienne pour moitié.


Les premiers réformateurs quand à eux se sont écartés très rapidement des apocryphes. Le théologien anglais John Wycliffe, premier traducteur de la Bible dans cette langue, ne les a pas inclut dans sa version. L'allemand Martin Luther quand à lui traduisit les livres mais les plaça en annexe du reste de ceux qu'il considérait comment vraiment inspirés, soulignant par un commentaire qu'ils pouvaient servir à l'édification personnelle et à l'histoire mais en aucun cas faire autorité sur le plan théologique (avis partagé par l'église mormone).

Par la suite la vague réformée rejeta définitivement ces apocryphes de ses versions de la Bible. Le protestantisme a fait le choix de s'appuyer sur l'exemple de (Saint) Jérôme qui lui-même préféra se référer aux écrits originaux hébreux plutôt qu'à la LXX grecque.


En résumé la question pour laquelle toutes les églises n'ont pas le même canon biblique repose sur le choix de s'appuyer plutôt sur les textes originaux hébreux ou plutôt sur la version grecque des LXX. Pour le protestantisme, qui souligna les faiblesses des livres apocryphes en comparaison des livres canoniques, faiblesse sur le plan historique et littéraire, leur contenu même témoigne d'une origine profane non inspirée.


La preuve la plus démonstrative de leur origine profane se trouve dans le prologue du Siracide et en 2 Maccabées où les rédacteurs laissent eux-mêmes entendre qu’ils n’étaient pas inspirés par Dieu. On y lit par exemple : « Si la disposition des faits en est heureuse et bien conçue, c'est aussi ce que j'ai voulu; si elle est imparfaite et médiocre, c'est tout ce que j'ai pu faire. Car de même qu'il ne vaut rien de boire seulement du vin ou seulement de l'eau, tandis que le vin mêlé à l'eau est bon et produit une agréable jouissance, de même c'est l'art de disposer le récit qui charme les oreilles de ceux qui lisent l'histoire » (2 Maccabées 15:39, 40 – cf. 2:24-32).


Parmi les raisons pour lesquelles le protestantisme rejeta les apocryphes se trouve également le fait qu'ils enseignent souvent des choses opposées ou étrangères aux premiers écrits reçus par le judaïsme et au Nouveau Testament. Le second livre des Maccabées par exemple renferme la base des doctrines catholiques et orthodoxes de l'intersession des Saints et des prières dites pour les morts.


Le problème de l'exactitude historique se pose dans le livre de Judith. Les notes de la Bible de Jérusalem, version catholique, indiquent elles-mêmes que le livre « manifeste une superbe indifférence pour l’histoire et la géographie ». D’après le récit, les événements se déroulent sous le règne de Nabuchodonosor , dont il est dit qu’il régna sur les Assyriens à Ninive. Or, l’introduction et les notes de cette version indiquent qu'il régna sur la Babylonie et jamais sur Ninive, pour la bonne raison que cette ville avait été détruite auparavant par Nabopolassar son père. À propos de l’itinéraire suivi par l’armée d’Holopherne, cette introduction déclare qu’il est « un défi à la géographie ».


Certains autres livres, tels la Sagesse ou le Siracide, posent le fondement du judaïsme rabbinique imprégné de philosophie grecque qui prendra de plus en plus de distance avec le judaïsme primitif essentiellement basé sur l'observation des livres de la Loi écrite. Le livre de la Sagesse par exemple ouvre la porte à l'adoption de la conception de l'immortalité de l'âme tel que l'a exprimé Platon.


Depuis quelques années les éditions Gallimard publient un corpus de livres apocryphes et gnostiques étrangers aux versions de la Bible :


http://www.amazon.fr/La-Bible-%C3%A9crits-intertestamentaires/dp/2070111164


http://www.amazon.fr/Ecrits-apocryphes-chr%C3%A9tiens-tome-1/dp/2070113876/ref=pd_sim_b_4


http://www.amazon.fr/Ecrits-apocryphes-chr%C3%A9tiens-2-Anonyme/dp/2070113884/ref=pd_sim_b_3


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1 commentaire:

  1. J'ai lu en partie le "Livre d'Hénoch". D'après la chronologie biblique, Hénoch n'a pas été contemporain de Noé. On présente, dans ce livre, des événement qui ont précédé le déluge du temps de Noé (Nephilim) comme ayant eu lieu du temps d'Hénoch... !

    Certains prétendent que ce livre aurait été rédigé avant les écrits attribués à Moïse par Hénoch et en partie par Noé.

    Si les Esseniens attachaient de l'importance à ce livre (copies retrouvées avec les manuscrits de Qurâm), ce n'est certes pas une preuve de son inspiration.

    J'aime tes articles. Merci, cela m'incite à faire des recherches.

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